Des métiers de l’ombre à la lumière du scénario de vie
Pendant le confinement nous avons applaudi et célébré des professionnels agissant souvent dans l’ombre, les exposant, du jour au lendemain à la lumière de notre gratitude mais également de nos espoirs et de nos attentes. Derrières ces professions, plus ou moins enviées ou présentes à nos esprits avant l’épisode du Covid-19, se cachent des personnes, des individualités avec un scénario de vie.
En analyse transactionnelle (AT), nous dirions que la vie de chacun se déroule comme une histoire que nous nous racontons, sur nous-même, les autres et le monde, à partir des liens que nous avons tissés depuis notre naissance. Notre scénario peut être “gagnant” (ouvert) ou “perdant” (limitant) et dépend de la qualité de notre attachement primaire, de la sécurité affective dont nous avons été nourris dans l’enfance, de nos expériences de vie. Dans la constitution de ce scénario nous trouvons, par exemple, les décisions que nous avons prises, enfant, pour nous adapter aux exigences de notre environnement ou encore les tentatives pour satisfaire nos besoins, mais pas seulement. Nous avons également été soumis aux désirs inconscients que nos figures parentales ont projetés sur nos têtes blondes, aux transmissions transgénérationnelles et culturelles diffuses etc…
Tout ce vécu conditionne la façon dont nous allons regarder notre monde et les positions de vie que nous allons adopter. Deux perceptions pour soi et pour les autres s’offrent alors à nous : plutôt positives ou plutôt négatives (voir la théorie de l’OKness en AT : « je suis OK+/OK-, vous êtes OK+ /OK- » avec ses combinaisons).
Ainsi, une mise soudaine sous les projecteurs peut être vécue de façons différentes selon notre scénario de vie. Entendons-nous bien, les intentions autour de ces célébrations sont éminemment positives pour ceux qui acclament soirs après soirs ces professionnels. D’un autre côté, sont-elles, pour autant, toujours bien reçues par l’individu mis en lumière ? Comment sera vécu l’après, lorsque les applaudissements auront cessé ? Quel sens donner à ces célébrations dans la période inédite que nous traversons ? Qu’est-ce que son métier dit de l’individu lui-même ?
Les réponses ne sont ni généralisables ni simples. Pour donner une piste de réflexion néanmoins, nous pourrions partir de la manière et de la capacité de chacun à recevoir des signes de reconnaissances, qui elles-mêmes dépendent du vécu de chacun : par exemple, comment réagissons-nous lorsqu’on nous fait des compliments ? Comment vivons-nous le fait de devenir, d’un coup, le centre de l’attention ? Et si nous sommes ignorés ? Ces questionnements sont d’autant plus évocateurs que ces métiers, tellement essentiels, n’étaient plus reconnus ni mêmes vus, un peu comme dans ces vieilles relations de couple où l’habitude aurait remplacé la reconnaissance…
Si notre histoire a fait que nous n’avons pas reçu, en nombre suffisant, des signes de reconnaissances adéquats, il se peut que nous ayons construit un scénario limitant pour nous autour du fait que nous ne sommes pas importants, que nous ne comptons pas. Dans ce cas il pourra être difficile d’accepter cette reconnaissance soudaine, ces élans d’amour et de gratitude sans les mettre à l’épreuve : « ils nous applaudissent mais sont les premiers à sortir pendant le confinement » a-t-on pu entendre.
A contrario, plus nous avons été nourris, enfants, de signes de reconnaissance adaptés et plus nous sommes susceptibles de les reconnaître, de les apprécier et d’en donner. D’autres ont pu dire : « ça fait du bien malgré tout, tous ces témoignages à notre égard, ce n’est pas si souvent », et ont pu s'en saisir, comme d’un cadeau.
Cependant, les signes de reconnaissance ne sont pas que positifs. La reconnaissance peut également s’exprimer de sous forme de critiques et de reproches. Alors, quelles seront les conséquences d’une enfance peuplée de signes de reconnaissance négatifs pour notre image de nous-mêmes, des autres et du monde ? Le psychologue et écrivain Claude Steiner dans L’Economie des Caresses pensait à ce sujet que recevoir du négatif vaut mieux que de subir de l’indifférence. Ainsi, finalement, tout type de considération vaudrait mieux que… pas de considération du tout. Et à propos d’indifférence, nous avons pu constater que certains corps de métier se sont sentis ignorés, laissés pour compte, alors qu’ils étaient, eux aussi, en première ligne. Certains ont d’ailleurs réclamé par voie de media de faire partie de cette célébration, à juste titre d’ailleurs, car quand nous manquons de signes de reconnaissance il est bon, pour soi, d’en demander !
Nous savons, par ailleurs, qu’exercer des métiers du soin, des professions qui sont proches du public, peut représenter une réponse réparatrice à une enfance qui s’est trouvée en souffrance (nos professions de psys en savent quelque chose 😉 ). Alors, même si les applaudissements cessent, que la lumière des projecteurs se fait plus tamisée, il est toujours temps d’assouplir et d’ouvrir son scénario à l’aune de ces situations d’exception, car, rappelons-nous ce que disait Claude Steiner au sujet des positions de vie :
« les gens sont par nature et à la naissance O.K. »
https://www.psychologies.com/Paroles-de-psys/Des-metiers-de-l-ombre-a-la-lumiere-du-scenario-de-vie