Je parle donc je guéris ?
Paroles, Paroles, Paroles... Parfois nous parlons et pourtant nous avons le sentiment de ne rien dire. Nous faisons du passe-temps, comme nous dirions en analyse transactionnelle (AT) et c’est un moyen de structurer notre temps comme un autre. Les mots s'enchaînent, les phrases ont du sens, la parole est “transactionnelle” puisqu’il y a un échange avec l’autre et pourtant, rien d'important n'est véritablement dit.
Ne rien dire lorsque nous parlons, a cependant une utilité sociale et psychologique : c'est un moyen de ne pas rentrer tout à fait en lien. C’est un signal pour l’autre qu’il est de bon ton de conserver une certaine distance, de ne pas aller voir plus loin. Ce n’est ni mal ni bien. C’est une information pour soi lorsque nous sommes en discussion. Lorsque nous vivons une situation professionnelle, que nous croisons des collègues, des clients, nous utilisons souvent le passe-temps. C’est un code social.
Le passe-temps en psychothérapie est un indicateur : peut-être que l’alliance thérapeutique n’est pas encore consolidée, que le patient n’est pas prêt ou qu’il a besoin de se donner une permission pour dire. Dire, c’est engageant. C’est livrer quelque chose de soi, c’est donc engageant pour celui qui dépose sa parole et pour celui qui la reçoit. Nous savons bien que “donner sa parole” n’est pas un acte anodin et le tsunami des #metoo témoigne, en ce sens, de l’importance et des implications du dire.
Souvent la question lorsqu’on va mal est : en quoi aller parler à un psy va me permettre d’aller mieux? C'est vrai ça, le psy. Le psy, cet animal inconnu, à qui il faudrait aller raconter des vécus intimes, et puis, c’est trop long une psychothérapie et non-garanti, et en plus souvent, c’est payant... Bref, nous trouvons pléthore de bonnes raisons qui confortent nos résistances ; surtout que quelquefois, nous avons déjà exprimé ce qui nous faisait mal : à nos proches, à nous-mêmes etc... et si cela nous a soulagé sur le moment, souvent ça ne s’est pas révélé suffisant.
Parfois nous sommes restés silencieux : nous ne voulons ou ne pouvons pas dire, c’est trop difficile, trop douloureux. Nous préférons tenter d’oublier pour éviter de donner une réalité à ce qui nous accable. Nous imaginons que nous allons le revivre avec la même intensité à chaque fois. Comme si hier était maintenant. Parfois, nous n’avons pas eu la permission ni la protection suffisante dans notre environnement affectif pour nous permettre d’exprimer nos ressentis tels qu’ils étaient. Ces derniers ont pu être édulcorés, niés par l’entourage ou interdits : « après tout, ce que je ressens, est-ce la vérité ? » Mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs me disent que je me trompe, que j’exagère, que mes mots (et mes maux) sont erronés : “ça ne s’est pas du tout passé comme tu le prétends…” Parfois nous ne savons même pas ce qui fait souffrir... De quoi nous faire douter et surtout nous faire taire. Dans notre système sociétal, il y a de bien meilleures raisons de se taire que de parler.
Alors y a-t-il quelque chose de magique dans le cabinet du thérapeute qui fait que dire peut soulager durablement ? Est-ce que la parole libère? En fait, dans le cabinet du thérapeute nous allons avoir l’opportunité de retrouver une parole vraie, c'est-à-dire dépouillée de la honte, de la peur, de la culpabilité, sources de grandes souffrances. Nous aurons le secret espoir de voir émerger “le beau, le vrai, le juste” pour soi comme l’a si bien dit le psychiatre Philippe Jeammet (1). Pour cela, tous les courants en psychothérapie semblent pertinents, en termes « d’efficacité » dès lors qu’ils sont, évidemment, pratiqués avec éthique et déontologie (2). Et en même temps, au-delà des approches, ce qui soigne, c’est la relation, nous dit l’auteur et psychiatre Irvin Yalom (3). La relation entre le praticien et le patient.
C’est pour cette raison qu’il est essentiel de se donner les moyens de trouver la bonne personne et heureusement, il y a un psy pour chacun. Car il s’agit d’une rencontre, d’un lien qui se construit, délicat, unique, précieux, qui permettra à son vrai soi de se déployer à nouveau. Grâce à l’expérimentation de cette relation sécure, nous pourrons alors nommer notre souffrance mais aussi la comprendre en lui donnant du sens. Nous pourrons y associer des émotions, ressenties à la fois dans notre psychisme et dans notre corps. Nous pourrons expérimenter d’autres comportements et ainsi ne plus répéter nos schémas douloureux et stériles.
Si j’adapte cette explication à l’analyse transactionnelle je dirais ceci : nous irons revisiter l’ensemble de nos pensées, émotions et comportements afin d’identifier ce qui nous bloque : nos impasses, nos croyances limitantes. Nous pourrons voir émerger nos méconnaissances et nos jeux psychologiques inconscients. Nous irons assouplir un scénario de vie rigide, répétitif et distancer nos douleurs passées. Un beau programme en perspective ! Pour finir, ce matin j’ai trouvé sur les réseaux sociaux cette “punchline” anonyme, parlante, pour illustrer ces propos : “ce n’est pas la distance qui sépare mais le silence”. Et j’entends “qui sépare” de soi, des autres et du monde. Alors stop au silence assourdissant, et à nous les relations adéquates, à nous l’autonomie et le respect de nous-mêmes, à nous la confiance retrouvée dans le lien à l’autre. Bonne route !
- Colloque : Libérer la parole, l’esprit des psychothérapies humanistes (2018)
- L’Art de la Thérapie (2013), Irvin Yalom
- L'Évaluation des psychothérapies (2018), Jean-Nicolas Despland, Yves de Roten, Ueli Kramer
https://www.psychologies.com/Regards-de-psys/Je-parle-donc-je-gueris